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BIFURCATIONS

 

Avec une intention affirmée, les pratiques narratives postulent que d’autres histoires sont possibles pour chacun d’entre nous. Un réservoir inépuisable de récits non développés, de bifurcations non prises, inattendues, enfouies dans nos expériences de vie, à condition de les explorer.

 

Et je pense à cette entame d’Yves Bonnefoy dans  « L’Arrière Pays » : « J’ai souvent éprouvé - écrit-il - un sentiment d’inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu’en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n’ai pas prise et dont déjà je m’éloigne, oui, c’est là que s’ouvrait un pays d’essence plus haute où j’aurais pu aller vivre et que désormais j’ai perdu. »Instants furtifs que le poète va saisir dans les fulgurances de la palette des peintres du Quattrocento italien, comme une présence à soi retrouvée.

 

Ou bien encore «  Ce petit pan de mur jaune, avec un auvent » qu’imagine Marcel Proust  dans la « Vue de Delft » de Vermeer.  Ce détail avait échappé jusqu’ici au personnage de Bergotte, une figure de romancier récurrente dans l’œuvre de Proust. Il s’offre à lui à l’instant de mourir en apercevant sur la toile du maître de Delft, au premier plan sur la berge, face à la ville, « des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune » de l’autre côté de la rivière.  Epaisseur de la couleur, finesse du détail de la ligne des toitures, précision de la description, nuances des lumières et des contrastes que son travail de romancier avait trop négligé d’emprunter et de transposer dans son œuvre.

 

Risquons une analogie. C’est dans des bribes de souvenirs évoqués au détour d’entretiens que des fenêtres s’ouvrent sur un paysage entraperçu, en dévoile les contours,  les détails, et ainsi s’éveille la curiosité d’y aller voir. 

Et pour lui, le narrateur, désormais plus sûr de lui-même, d’habiter ce qui n’était jusque là qu’un hors monde.

 

Henri Perilhou

CRISE DU RÉCIT OU RÉCITS DE LA CRISE ?

 

L’incertitude où nous plongent les dérèglements climatiques et sanitaires sur le temps long nous ferait-elle douter de notre capacité à en saisir la portée pour en conjurer le cours ? Et il faudrait à nouveaux frais méditer cette remarque d’Albert Camus : « Mal nommer les choses c’est rajouter au malheur du monde. »

Le plus étonnant est cette propension à la déploration qui va s’accentuant. La  romancière Nathalie Azoulay* s’interroge avec rigueur sur les nouvelles concurrences fictionnelles au livre : des séries bien construites, addictives et faciles d’accès, ou, a contrario des narrations sans distance, étalage complaisant du tout à l’égo au moment des prix littéraires ; elles détournent le lecteur de la forme du roman classique et des promesses de vérités qu’il détient par le détour de l’imagination narrative. 

 

De son côté, l’anthropologue Nasstaja Martin** constate les dégâts irrémédiables qui altèrent la relation entre telle tribu animiste de chasseurs de caribous et leur habitat défiguré par la production pétrolière dans des régions subarctiques de l’Alaska. Elle en vient à conclure que le récit devient difficile dès lors que les liens avec l’environnement et les « non-humains » se distendent. Du voisinage antérieur qui disait ce qu’il en était des correspondances entre ces hommes et les âmes des animaux, il ne reste plus de cette parenté d’hier que l’évocation à titre de souvenir. Pour d’autres tribus qui ne se résignent pas, l’issue est l’exil au plus profond de la forêt vers de nouvelles terres plus accueillantes. Elles sont portées par des récits inépuisables qui les entraînent vers de nouveaux territoires de chasse.  

 

En contrepoint de ce présent féroce où 68% des espèces vertébrées ont disparu et où la maison brûle jusqu’à un point de non-retour pour la forêt amazonienne, un thème prend vigueur : celui du chasseur-cueilleur. Erigé en modèle vertueux du développement humain, le mythe du bon sauvage est de retour. Cette fois, ce n’est pas le naufragé qui a  perdu son navire et trouvé l’île espérée, mais tout un écosystème épuisé qui n’a plus rien d’un jardin d’abondance et de fruits paradisiaques à offrir. 

 

Est-ce la joie du citadin tout soudain enivré d’un nouvel usage du monde entre deux parenthèses covidiennes ? Un contact éphémère renoué au cosmos sur un lopin de terre que seulement il effleure et ensemence. Un contact éphémère renoué au cosmos sur un lopin de terre que seulement il effleure et ensemence. Il y a là l’émergence d’un récit qui a au moins le mérite de tenter dans sa simplicité voire sa naïveté de renouer à une appartenance à la terre et de démentir la vieille dualité entre nature et culture.

Cette crise du récit dont il est question, ne serait-elle pas aussi celles des valeurs qui en assuraient le déploiement. Le récit d’un productivisme aveugle déniant ses effets dévastateurs et inégalitaires n’est plus le mantra dominant et incontesté. Des concurrences narratives s’affrontent aujourd’hui sans ménagement pour un avenir que l’on souhaite meilleur. Projeter les diagonales de nos désirs et de nos aspirations sur la toile d’un présent saturé de passions tristes reste plus que jamais l’apanage de la fiction. Il ne s’agit pas de fuir le réel mais de le dessiner, adossé à des expériences nouvelles, de passer du paysage des idées en gestation à celui de l’action. 

*Nathalie Azoulay : « Le doute creuse en moi son sillon, et si le roman c’était fini ? » -Le Monde- Publié le 9 septembre 2020

**Nastassja Martin : « Nous vivons une crise du récit » Le Monde - Publié le 07 août 2020

Henri Perilhou 

 

NOMMER LE RÉEL

 

Le  praticien narratif recueille, au plus près de l’expérience vécue, les témoignages de ces moments inédits où nous avons consenti à l’assignation à résidence et accepté l’interdiction  d’aller et venir dans un espace public déserté, quadrillé, surveillé.  Le virus circule toujours mais moins qu’ailleurs si on élargit le regard. 

 

Michael White, l’initiateur des thérapies narratives, avait très tôt incorporé à sa pratique les analyses de Michel Foucault sur le « biopolitique » et l’assujettissement social, la  servitude volontaire comme intériorisation de la contrainte. Contrôles exercés sur les corps imposés par une norme sanitaire élevée en règle de gouvernance. 

 

Mais que vaut une théorie du pouvoir moderne si elle ne décrit pas ce qu’il y a d’inouï dans le surgissement de l’inattendu ? Quelle est sa portée si elle ne dit rien du rétrécissement de la vie. Des enfants disparus des écrans radars de l’école, des solitudes,  du huis clos des violences familiales, de l’impossibilité du droit de visite et de l’accompagnement  dans la mort ? Quelle est sa portée si elle ne dit mot de nouvelles formes de solidarité et d’entraide qui ont brisé les cloisonnements et résisté à l’enfermement ? Comment nommer  le réel ?  Sidération ? Mise en demeure des corps ? Pas seulement. 

 

Dans ce temps suspendu, des convivialités inédites ont été improvisées, originales, chaleureuses, éphémères, aux balcons, sur les pas de portes, au seuil des immeubles.  Les « réseaux sociaux » dont on ne soupçonnait pas qu’ils puissent  mériter ce nom ont parfois réussi à retrouver leur sens premier : faire société et non la défaire. 

 

Préserver le vivre ensemble, maintenir le lien professionnel, là était l’essentiel : des histoires à partager, des cours en ligne, des « visio conférences», des musiques à entendre, des films projetés sur les façades, des concertistes esseulés réunis sur des écrans rassemblés. Des danses hors les murs. Casser la barrière des solitudes derrière les gestes-barrières, suppléer à l’isolement, à l’absence de la chaleur des corps.  

 

Et s’il s’agissait maintenant d’amplifier ces histoires et d’étoffer ces moments d’exceptions ? Après le confinement, mettre la plainte et les souffrances à distance, les externaliser. Parler de ces élans de solidarité et en dégager un horizon de sens.  Certains on commencé à le faire. Dans des hôpitaux des personnels soignants organisent des cérémonies de reconnaissances qui s’apparentent  aux «  cérémonies définitionnelles » des Pratiques Narratives. A quelles valeurs répondent ces élans de solidarité ? Que disent ces engagements immédiats ? Que recèlent-ils de sacrifice et d’humanité ? 

 

Dans ces moments de « confinement » des mots inusités ont trouvé droit d’usage. La  « distanciation  sociale », sonnait comme d’avoir à rester chacun  dans sa case, dans sa classe. D’autres, plus techniques et froids, le « présentiel » et son double inversé,  « le distanciel, » pour dire l’enfermement, l’émergence du télé travail et les rendez-vous sur les écrans partagés. Pauvres mots et pauvres visages réduits et alignés au format de timbre poste, vacillants au gré de liaisons techniques aléatoires, mais visages cependant, souriants et lumineux parfois, présence altérée mais maintenue à travers le prisme rétréci de nos écrans pixélisés.

La parole partagée s’avère salutaire. Il y a là un vaste champ où les cartes des Pratiques Narratives ont commencé utilement à lâcher la bride aux mots pour donner du corps et du sens à tant d’expériences accumulées et de l’espace à ces récits.

 

Henri Perilhou 

QUESTION DE CURIOSITÉ

"Tout ce qui se dérobe sous la main est, ce soir, essentiel.

L’inaccompli bourdonne d’essentiel" 

(René Char) 


Les praticiens en relation d'aide (thérapeutes, counselors, coachs...) ont l’habitude de poser des questions. Bien sûr, ce n’est pas leur seule façon d’intervenir ou de pratiquer leur métier, néanmoins le questionnement occupe une place prépondérante dans le métier. Et c’est dans la pratique du questionnement que les impasses sont possibles. 

En effet, il existe deux orientations de questions possibles : tournées vers le praticien ou tournées vers le client.

Les questions orientées vers le praticien, en position centrée :

Le praticien peut orienter ses questions vers lui-même (et son client vers une impasse) avec la meilleure intention du monde. 

S'il pose des questions orientées vers lui-même, cela signifie que sa curiosité est également tournée vers lui-même. Souvent ce seront des questions ayant trait au contenu, au sens, qui permettront au praticien de trouver du sens à ce qu’il entend.

Pourquoi cette curiosité tournée vers soi ? Peut-être parce que le praticien, inquiet de ne pas comprendre la problématique du client, tente par des questions "d’approfondissement" d’adoucir sa propre inquiétude.

Essayer de comprendre révèle un désir d’aider très humain, peut-être inspiré de la croyance que comprendre c’est résoudre, et de l’idée qu’une deuxième intelligence peut venir prendre le relais de la première là où elle bute. 

Et pourtant nous savons tous qu’il n’y a aucune cause à effet entre la compréhension que le praticien pourrait faire du sens immédiat de ce qu’exprime le client et la réussite de ce dernier en séance ! Il se pourrait même que, lorsque le praticien se rassure par une réponse – bien souvent convenue d’ailleurs – il risque d’augmenter l’inquiétude de son client. 

Que le praticien ait des trous dans la tapisserie qu’il tisse avec le client, c’est de peu d’importance puisque sa zone d’influence se situe à un niveau autre que celui de la compréhension immédiate. Ce qui importe, c’est que ce soit le client qui remplisse les vides et les blancs. 

Le praticien est en interaction pour permettre au client de se transporter d’un espace saturé par le problème, vers un espace où il lui sera possible de savoir, de comprendre, de faire du sens. 

Quand le praticien se met en quête du sens, il entre dans une démarche tournée vers lui, il remplit les vides et les blancs, certes, mais pour son propre compte, ce qui n’avance guère le client. 

Un avantage pour le praticien, nous l’avons vu, est de se rassurer. Un autre est d’asseoir sa place dans la relation, une place de pouvoir, le pouvoir de « l’intelligence des choses », le pouvoir du sachant. 

La question « pourquoi » est souvent de cette nature. Sauf lorsqu’elle vise à mettre à jour les intentions du client, lui permettre de verbaliser ce qui est important pour lui. Par exemple : « Je souhaite réussir cette mission – Pourquoi dites-vous cela ? – Parce que je me suis investi, parce que cette mission va permettre à toute l’équipe de [...] et que j’aime aller au bout de ce que je commence ». 

Les questions de contenu orientées vers le praticien mènent, très souvent à une impasse. Une impasse est une voie sans issue, une voie dont le bout bute toujours sur le même mur. 

Tout client, avant de venir nous voir, a souvent investigué son problème dans tous les sens, a discuté celui-ci avec différentes personnes, s’est posé ou s’est fait poser de nombreuses questions, a élaboré beaucoup de réponses. Il y a de fortes chances pour qu’il ait déjà répondu aux questions du pourquoi posées par des personnes orientées vers elles-mêmes, c’est-à-dire orientées vers la compréhension immédiate. Et il aura répondu. 

Les mêmes réponses données à de mêmes questions, nous les appellerons des réponses convenues. Et ces mêmes questions, si le praticien les pose, alors qu’elles ont déjà été très souvent posées, recevront les mêmes réponses qui ont déjà été faites. Nous dirons que ce genre de question ne fait pas avancer la problématique du client, et font parfois même pire, elles peuvent impatienter, voire agacer et consolider le mur au fond de l’impasse. 
Les questions orientées vers le praticien soutiennent le problème. Les questions orientées vers le client vont au contraire aider à le dissoudre. 

Les questions orientées vers le client, en position décentrée 

Très souvent, les questions auront pour objectif de permettre au client de verbaliser à voix haute, pour lui, une idée, une histoire, une option, une réflexion... 

La quête d’un autre sens est pour lui, lui permettre d'étoffer une représentation de la réalité qui va dans le sens de ses souhaits, de ses envies.

Alors, nous imaginons qu’elles pourraient être de deux sortes :

1/ les questions interpellantes, curieuses, inattendues, bousculantes, improbables :

En tant que praticiens, notre intention est de poser des questions qui transporteront le client dans un espace improbable, un espace interpellant, un espace auquel il n’a pas pensé. Un endroit bien peu visité ; un lieu que le problème n’a pas investi. Un lieu où le problème n’est pas présent. Un lieu improbable, voire « impossible », comme dirait Jacques Derrida, c’est-à-dire étranger à l’ordre des possibles, et non pas un espace inaccessible que l’on ne pourrait alors que renvoyer à plus tard. C’est cela « la déconstruction de l’impossible ». 

Ce sont donc des questions de curiosité tournées vers le client. Des questions qui ont pour objectif de lui proposer de le transporter dans un espace de réflexion qu’il n’aurait jamais investigué sans cela. Ce sont des questions qui aident le client à révéler l’implicite, à inverser son point de vue. 

2/ les questions du réel :

A nouveau, nous imaginons qu’elles pourraient être de deux sortes : 

-Les questions qui prennent en compte les manifestations, les événements qui se passent, se déroulent pendant la séance, dans l’ici et le maintenant. Ce que l’on pourrait résumer trop rapidement par l’expression « questions de processus ». 

-Et les questions pour aider le client à quitter l’explicatif, voire le justificatif, pour entrer dans le descriptif. Ces questions-là lui permettront de se rapprocher au plus près de son expérience, de son vécu, de la complexité et de l’ambigüité inhérentes au réel. 

Dans tous les cas, la finalité des questions orientées vers le client est la même : faire apparaître l’absent mais implicite. 

Force nous est de constater que la compréhension du sens premier du discours du client par le praticien est bien secondaire.

Aucune démonstration n’a pu nous convaincre de la réussite d’un client qui serait due à la compréhension du contenu par le praticien. 

Celui-ci va avec le client vers la réussite, et le chemin n’en est pas la compréhension, mais la réorganisation de sens que le client effectue lui-même. 


"Nous inventons des forces qui touchent les extrémités,

presque jamais le cœur" 

(René Char)


Isabelle Laplante, Nicolas De Beer

STRATÉGIQUE OU COLLABORATIF ?

« Il est inévitable que nous échangions mutuellement nos vies, et souvent de manière difficile à décrire (…) Pour moi, ces interactions changent la vie et, bien-sûr, je ne propose rien qui ait un but stratégique, du genre position basse (« one-down ») , position que je considère comme paternaliste et disqualifiante ». (Michael White)


Les consultants, coachs, professionnels de la relation d'aide ont, depuis de nombreuses années, adopté le modèle de thérapie systémique et stratégique de Palo Alto. Les consultants et coachs l’ont adapté, avec intelligence, à la résolution de problèmes d’entreprise. 

Depuis la fin des années 70, grâce aux travaux d'Ilya Prigogine, de Francisco Varela, d'Heinz von Foerster, la systémique est passée d'une métaphore mécaniste à une métaphore biologique. Ce qui a permis de considérer un système (groupe, famille...) comme étant vivant.

Depuis le début des années 80, le dissident Steve de Shazer, lassé de l’Orientation Problèmes, s’en est démarqué en proposant un modèle centré sur les solutions. 

Simultanément, dans l’autre hémisphère, Michael White mettait au point une pratique nouvelle, post-structuraliste, qu’il appelait Pratiques Narratives. 

Aux Etats-Unis, les constructionistes sociaux (Gergen, Anderson, Morgan, Cooperider…) développaient en relation d’aide et dans les organisations un processus voisin. 

On peut parler, aujourd’hui, d’une vaste communauté de pensée qu’on appellerait « la démarche collaborative », qui a pour vocation la dissolution des problèmes. 

La démarche stratégique et la démarche collaborative forment deux paradigmes quasiment antagonistes : hypothèses de travail différentes, postures du praticien différentes, méthodologies et outils différents. 

L’hypothèse du savoir 

Dans le paradigme stratégique, une hypothèse de travail est que « le problème, c’est la solution ». Autrement dit, la résolution du problème de notre client est dans le « 180° » : le contraire des tentatives de solutions opérées jusque là par notre client. Le praticien le sait, le client ne le sait pas. 

Dans le paradigme collaboratif, une hypothèse de travail est que « le problème, c’est le problème ». Autrement dit, le client est harcelé par un problème, vu comme un personnage extérieur à lui (rappelons-nous l’étymologie du mot problème qui signifie : jeter devant). Le praticien et le client font alliance pour enquêter sur ce personnage, ses présences et ses absences. La dissolution du problème se fait par amplification des exceptions, un langage externalisant... Le client est la seule source du savoir.

La posture d’influence 

Dans le paradigme stratégique, le praticien exerce son influence à partir d’une posture centrée sur lui-même. En effet, il est le stratège qui sait extraire le thème des tentatives de solution et déterminer le 180°. Il lui appartient ensuite d’inventer des tâches correspondant à cette inversion et de convaincre son client de les mettre en œuvre. 

Dans le paradigme collaboratif, le praticien exerce son influence à partir d’une posture décentrée. C’est le client qui est au centre de l’intervention. Le praticien est dans la posture d’un journaliste d’investigation, manifestant sa curiosité et guidant son client dans la mise à jour de sa propre histoire et la mise en œuvre de ses propres intentions.

Et la pratique ? 

La vision stratégique de l’intervention correspond de toute évidence à une position de conseil, de consultant, d’expert es outils : j’observe, je diagnostique, je trouve la solution, la façon de la communiquer et je vous la communique. 

La vision collaborative de l’intervention, quant à elle, est la voie royale du coach : je rencontre, nous faisons alliance, je questionne, nous découvrons, je m’étonne, nous amplifions. La finalité n’est pas de résoudre le problème, c’est que le problème se dissolve. Pour cela nous aidons notre client à déployer une histoire alternative, en contradiction avec son histoire dominante (1) et en plein accord avec ses intentions. Cette histoire secondaire (2) en s’étoffant va passer au premier plan, laissant l’histoire problématique se dissoudre dans le décor. 


Isabelle Laplante

 

NOTES
(1) Référence au pouvoir moderne décrit par Michel Foucault. 
(2) Cette démarche s’inspire de la « déconstruction » de Jacques Derrida. Il s’agit donc d’une démarche politique : déplacer et réélaborer ce qui a toujours été minorisé, opprimé, réprimé, méprisé, faire apparaître que ce qui est dominé déborde et constitue ce qui domine » M. Goldschmit). A la différence d’une méthode générale analytique, la déconstruction représente un type d’intervention extrêmement individualisé qui vise à déstabiliser les priorités structurelles d’une construction particulière. La démarche est d’identifier la construction conceptuelle (« les couples irréductibles » que l’on retrouve également chez Edgar Morin), mettre en lumière l’ordre hiérarchique, bouleverser cet ordre, et apporter un troisième terme.

QUELQUES NOTES SUR LE CONSTRUCTIVISME

 

Nous pouvons aller chercher cette théorie du savoir jusqu’au 5ème siècle avant JC. En effet Héraclite disait déjà que l’on"ne peut se baigner deux fois dans une même rivière", "le soleil est nouveau chaque jour". Et nous la retrouverons au XVIIIème siècle avec l’historien Gianbattista Vico, puis Jean Piaget jusqu’à aujourd’hui. 

La résurgence du constructivisme dans la deuxième moitié du XXème siècle va s’appeler "le constructivisme radical" s’est opérée en parallèle au développement de la 2ème cybernétique (Maturana, Varela – Mead – Segal – von Foerster – von Glaserfeld – Watzlawick). 

Cette vision du monde remet en question le monde cartésien et affirme que la réalité objective extérieure n’est pas connaissable. Dans le constructivisme radical, la réalité – donc le savoir – sont considérés comme construits individuellement et de manière interprétative ; le monde dans lequel nous vivons est inventé et non découvert. 

Dans le constructivisme, la réalité – donc le savoir – sont considérés comme construits individuellement et de manière interprétative ; le monde dans lequel nous vivons est inventé et non découvert ; "Toute communication et tout entendement, sont des interprétations construites par le sujet de l’expérience" et ne sont "qu’une manière d’organiser et de classer le monde selon notre vécu" (von Glaserfeld).

Deux découvertes importantes sous-tendent le constructivisme radical 

Deux grands scientifiques ont bouleversé notre pensée : Einstein avec la théorie de la relativité : les observations ne sont pas absolues mais relatives au point de vue de l'observateur.
Et Heisenberg avec le principe d’incertitude : les observations influent sur ce qui est observé de telle façon que l'observateur ne peut plus espérer faire de prédictions, son incertitude est absolue.

Comprendre que l'observateur, le phénomène observé et le processus d'observation lui-même forment un tout - et que l'on ne peut les décomposer en éléments qu'au prix de réifications absurdes - a des implications considérables pour la connaissance de l'homme et de ses problèmes. 

Et plus particulièrement des façons dont "il construit" littéralement sa réalité pour ensuite y réagir comme si elle existait "là-bas", indépendamment de lui, et finalement arriver à la surprenante idée que ces réactions sont à la fois la cause et l'effet de sa construction de la réalité.

La logique du monde est celle de la description du monde 

D’après les constructivistes, du fait de la raison, nous souhaitons que notre volonté, que nous appelons "réalité" ait une certaine allure, une certaine forme. 

D'abord, nous voulons que la réalité existe "indépendamment de nous qui observons". Ensuite, nous voulons que la réalité puisse être découverte, qu'elle se "révèle" à nous. Et nous voulons donc connaître ses secrets, c'est à dire savoir comment elle fonctionne. Nous voulons que ces secrets obéissent à des lois afin que nous puissions prédire et finalement contrôler la réalité. 

Enfin, nous voulons des certitudes : nous voulons que ce que nous avons découvert de la réalité soit vrai.

Le constructivisme radical met en question cette volonté au sens où il se charge de la tâche impopulaire de détruire la croyance en l'existence d'une réalité objective.

Pour les constructivistes, il n'y a pas d'observations - c'est-à-dire ni données, ni lois de la nature, ni objets extérieurs – indépendantes des observateurs qui les font. La scientificité et la vérité de tous les phénomènes naturels sont la propriété de celui qui les décrit, non pas de ce qui est décrit. La logique du monde est celle de la description du monde.

Les constructivistes affirment que, pour connaître le monde, nous devons commencer par nous connaître nous-mêmes, les observateurs. C'est à dire d'être capable de connaître sa propre faculté de perception. 

Ils prennent en compte la réflexivité et la récurrence. Et, puisque tout discours scientifique est langage, le constructivisme a aussi pour but de formuler une épistémologie qui rende compte de la façon dont nous créons le langage.

Plus de choix 

Le constructivisme rejette la croyance en une seule réponse à l'exclusion de toute autre. La multiplicité des choix garantit qu'un système est adaptable, et pour ce qui concerne les êtres humains, qu'il est sain.

L'impératif de Heinz von Foerster est "Agis toujours de manière à augmenter le nombre de choix possibles" et son impératif moral : "A va mieux quand B va mieux".

Il croit que la vie est un jeu à somme non-nulle. La condition sine qua non de toute vie sociale n'est pas la compétition mais la coopération. Le prix à payer est qu'il faut remplacer la notion d'objectivité par la notion de responsabilité.

Nous construisons ou inventons la réalité plutôt que nous ne la découvrons. 

Nous nous trompons en commençant par diviser le monde en deux réalités séparées – le monde subjectif de notre expérience, et le monde prétendument objectif de la réalité – et en fondant ensuite notre compréhension sur la correspondance de notre expérience avec un monde que nous supposons exister indépendamment de nous.

Et l’accompagnement dans tout cela ? 

Où situer le constructivisme dans le XXème siècle et en quoi nous est-il utile pour accompagner nos clients ? 

La première vague fut psychodynamique (Freud, Jung…). La deuxième fut systémique : inspirée par la 1ère cybernétique considérait l’humain comme un système auto-régulé et l’intervenant comme un technicien capable de résoudre les problèmes (AT, PNL, 1ère systémique), et la troisième vague dite collaborative inspirée de la 2ème cybernétique (Constructivisme, Orientation Solutions, Constructionnisme social, Pratiques Narratives) qui nous énonce que l’observateur fait partie intégrante de l’expérience et donc l’influe. Balayées les notions de « positions méta », « positions objectives », « positions de savoir ».
Dans l’accompagnement des personnes cela signifie que nous travaillons dans « l’ici et maintenant » de ce qui se passe en séance. 

Cela veut dire que nous, praticiens, pouvons quitter ce savoir rassurant pour le rendre au client qui est compétent. Cela veut dire que nous ne nous appuyons plus sur le savoir quand nous ne savons pas quoi faire, mais plutôt nous remettre en question. Etre pour faire et non faire pour être. 

Les phénomènes qui se déroulent entre le client et le praticien en séance sont les seuls événements tangibles et partageables. C’est l’espace partagé. Cela nous permet, nous praticiens de la relation, de nous intéresser exclusivement au client, et non aux techniques et outils (appris, conquis de haute lutte), à l’observation, à l’écoute et au silence plutôt qu’aux discours intérieurs, au descriptif plutôt qu’à l’explicatif, au processus plutôt qu’au contenu.

Le client se sentira écouté, respecté pour son savoir et son savoir-faire, l’accompagnant ou praticien restera dans sa position de curiosité et de perplexité.

Le praticien générant un espace de savoir et de pouvoir pour le client, celui-ci pourra se redéployer bien plus vite, se donnant toutes les permissions pour réussir. Et le praticien quittera son savoir et son pouvoir pour simplement garantir le cadre de sécurité essentiel pour l’auto-apprentissage du client.

 

Nicolas De Beer

PENSÉE STRUCTURALISTE ET PENSÉE NON-STRUCTURALISTE

"La distinction entre pensée structuraliste et pensée non-structuraliste est extrêmement importante pour comprendre le travail de l’approche narrative. Je trouve bien difficile de comprendre pleinement cette différence tant la pensée structuraliste fait partie intégrante de notre culture et de notre langage. En d’autres termes, nous avons construit de nombreuses façons d’observer le monde et nous-mêmes et nous nous y sommes tellement habitués que nous avons oublié que ce n’était que des constructions. Dans le travail narratif, il est très courant de « déconstruire » ces façons de comprendre. Par ces déconstructions, la porte d’entrée vers de nouvelles compréhensions et de nouvelles options se fait jour. Le tableau suivant illustre quelques unes des différences entre la manière dont un thérapeute structuraliste et un thérapeute non-structuraliste peuvent considérer les gens".

(Michael White)


Pour la pensée structuraliste :

. les conclusions identitaires basées sur les catégories structuralistes sont : besoins, motivations, attributs, traits, forces, déficits, ressources, propriétés, caractéristiques, pulsions...

. le but du recueil d’information est la recherche de "structures profondes" ou "vérités essentielles" concernant les gens

. il est possible qu’une telle quête de "structures profondes" ou de "vérités essentielles" soit objective

. ce sont les "structures profondes" (c’est-à-dire le Soi intérieur) qui façonnent la vie de chacun

. nos idées, problèmes, qualités sont reliés à un Soi interne

. notre identité est fixe et essentielle. On la trouve dans le Soi intérieur

. notre identité est toujours consistante.

Il est important d’attirer l’attention sur les effets réels dus au fait de considérer les "structures profondes" ou "vérités essentielles". Une des conséquences pour les professions de santé a été le développement de normes et d’idées concernant ce à quoi les vies des gens devaient ressembler pour être saines.


Pour la pensée non-structuraliste :

. faire des conclusions précieuses au sujet de leur vie et de leur identité. Des conclusions concernant leurs buts préférés, leurs envies, leurs désirs, leurs souhaits, leurs intentions, leurs croyances, leurs valeurs, leurs serments, leurs espoirs, leurs rêves, leurs visions leurs engagements...

. ce que l’on cherche, ce que l’on croit et d’où l’on vient façonne ce à quoi l’on ressemble et que l’on trouvera

. le langage et l’usage que l’on en fait jouent un rôle vital dans le façonnage de la vie

. ce que les gens disent et font et la manière dont nous nous relions façonnent la vie

. le sens que nous donnons aux événements de notre vie et la manière dont nous les organisons en histoires à propos de nous-mêmes et des autres façonne notre vie

. nos idées, problèmes, qualités, sont des produits de la culture et de l’histoire. Ils se sont créés dans le temps et dans des contextes particuliers

. notre identité est constamment créée par la relation avec les autres, avec les institutions et avec les relations de pouvoir plus larges

. notre identité est fabriquée et continuellement fabriquée à partir de nombreuses histoires parfois contradictoires

La pensée non-structuraliste nous invite, nous praticiens, à :

. aider les gens (quand c’est pertinent), pour qu’ils arrêtent de mesurer leur vie par rapport à ce que certaines normes sociales disent que la vie devrait être

. questionner l’objectivité, l’expertise et les pratiques d’interprétation des thérapeutes

. questionner les idées pré-conçues et les pré-suppositions qui peuvent être véhiculées par le langage que nous utilisons en thérapie

. prendre en considération comment les histoires, les rituels et d’autres aspects actifs sont pertinents pour comprendre le processus de thérapie

. externaliser les idées, les problèmes et les qualités dans les conversations thérapeutiques

. prendre au sérieux la manière dont chaque conversation thérapeutique façonnera l’identité (jusqu’à un certain point) à la fois de la personne en consultation et du thérapeute

. explorer la manière dont nous pouvons impliquer des témoins dans le travail en train de se faire dans la salle de thérapie

. développer des pratiques pour vérifier les effets réels des conversations thérapeutiques sur ceux qui nous consultent

. considérer combien nos histoires de vie façonnent nos vies et combien la thérapie peut permettre la description riche d’histoires identitaires préférées.

 

Leonie Thomas

LES TRAVAUX DE MICHAEL WHITE

 

Ce texte ne prétend aucunement résumer la démarche des Pratiques Narratives (ou Approche Narrative) ? 

Il est juste une évocation possible parmi d'autres possibles.


"Pourquoi s’intéresser aux cartes ? "

"Il se trouve que, sur le plan personnel, j’ai toujours été fasciné par les autres mondes. J’ai grandi dans une famille modeste, au sein d’une communauté modeste et, bien que n’ayant qu’un accès limité aux autres univers de vie, j’ai toujours eu pour eux une profonde curiosité. Quand j’étais un jeune garçon, ce sont les cartes qui m’ont permis de rêver à ces autres mondes, et de me transporter par la pensée dans des endroits lointains".(1)

Michael White a initié une forme particulière d’accompagnement basée sur les analogies topologique et textuelle (cartes et récits...) quand d’autres lui préféraient l'analogie mécaniste (outils et techniques pour réparer des systèmes qui dysfonctionnent...) ou l'analogie des sciences sociales (le jeu, déplacements pour élaborer une stratégie......) ou encore l'analogie biologique (un système vivant, les principes d’énaction, d’autopoièse...). 

Les cartes qu’il a dessinées aidaient à découvrir des chemins et lieux exotiques de la vie du client, qui se différenciaient de leur récit dominant, celui qu’ils se racontent et qui valide jour après jour leurs croyances. Ce récit dominant occulte autres histoires (contre-exemples) reliées à d’autres événements eux-mêmes exclus car invalidant l’histoire dominante. 

Cette navigation en collaboration que Michael White proposait à ses clients leur permettaient d’envisager leur récit de vie comme peuplée d’événements « uniques » existants et oubliés, différente que celle qu’ils se racontaient jusqu’à maintenant.

Privilégier le multiple, les plis, les accrocs, les événements de vie comme aurait pu le dire Deleuze, plutôt que de privilégier une vie bien repassée. A passer et repasser sa vie de la même façon, dans le même sens, elle devient convenue, plate, sans relief. Alors que tant de récits différents sont possibles. 

Quitter l’histoire dominante validée par le corps social, pauvre en informations (je suis incapable de..., je suis nul, ...) en d’autres termes le récit soutenu par la norme (normal/anormal). Privilégier l’histoire préférée, riche de détails, celle issue des envies, rêves, espoirs engagements du client. 

Michael White à l'origine des "Pratiques Narratives" (ou Approche Narrative)

Il avait créé le « Dulwich Centre », lieu d’accueil et de consultation, de recherches et aussi lieu de formation aux Pratiques Narratives. 

En janvier 2008 il avait quitté le Dulwich Centre pour créer le « Narrative Practices Adelaide » avec Maggie Carey, Rob Hall et Shona Russell. Décédé en avril 2008, Michael White donnait des conférences dans le monde entier et, un jour, il a accepté notre proposition de faire une formation en France, pays des philosophes critiques français sur lesquels il appuyait sa démarche d’accompagnement des personnes. 
Oui, c’était un praticien qui avait compris que la philosophie pouvait s’inscrire dans l’action. Il avait trouvé le moyen de transcrire et pratiquer ces concepts sur le terrain, avec les personnes en souffrance. 

Il y a plus de 25 ans déjà qu’il s’intéressait à Jacques Derrida et aidait les gens à déconstruire une histoire d’échec et à échafauder une histoire personnelle préférée, et à Michel Foucault qui l’inspirait pour aider les clients à prendre conscience qu’ils pouvaient être acteurs de leur vie tout en respectant leurs espoirs différents, les aidant à interroger la pensée dominante et à soutenir une possible pensée minoritaire. Gilles Deleuze qui l’interpellait sur la nécessaire différence, le courant d’air, le multiple, Gilles Deleuze qui « annonçait la venue d’un monde unidimensionnel sans culture et sans âme entièrement soumis aux lois du marché et à la politique des choses »(2). Pierre Bourdieu pour l’exotisme et l’androcentrisme. Et tous avaient en commun de faire émerger des idées, des concepts en dehors du sentier battu et rebattu du pouvoir moderne imposant un standard dominant. Il y avait aussi Jerome Bruner qui avait ouvert la porte de la culture dans la psychologie et sa façon d’inscrire la narration dans l’identité et les histoires dans le vivant. « Il est nécessaire d’étudier l’homme en tant qu’il est situé socialement, historiquement et culturellement » (3). Et nous pouvons citer nombre d’autres figures comme Lev Vygotsky, Barbara Myerhoff, Ignace Meyerson ou Gaston Bachelard. 

Durant toutes ces années il reliait philosophie et pratique professionnelle, il a mis en pratique très concrètement, méthodologiquement et de façon cohérente les réflexions de ces grands personnages. Et il est devenu lui-même un grand personnage car il avait su les incarner dans sa pratique et aider les gens par la philosophie en action. 
Michael White était une personne particulière dans le champ de la relation d’aide, qu’il avait façonnée à la lumière de la pensée critique française. Ce fut en cela un précurseur en son genre. 

Sa remise en question du pouvoir moderne et la norme dominante,la pensée unique guidant notre société, était comme un hommage à Michel Foucault. Et de sa phrase « Je ne serai pas le complice du pouvoir moderne ». La voix de Michael White était si vibrante quand il l'a prononcée en cet été 2007. 

Quand le philosophe Alain Badiou a écrit : « (…) quelle que soient les circonstances, combattre plutôt que de se rendre, je ne vois pas qu’une philosophie véritable puisse désirer autre chose », il aurait pu parler de Michael White. 

Michael White a incarné ce que les grands philosophes français de la deuxième partie du XXème siècle souhaitaient : relier la pensée au geste. Il a navigué, en va-et-vient permanent entre le paysage de la conscience et le paysage de l’action chers à Jerome Bruner. 

Cette phrase de Michael White "Je ne serai pas complice du pouvoir moderne"allant à l'encontre de la pensée qui prône la ressemblance de chacun à un modèle commun, cette recherche de « la » bonne réponse universelle, « le standard », le bon modèle qu’on finirait par trouver. 

Tout le monde devrait respecter les nouveaux critères : santé, beauté du corps, performance, la vitesse, réussite sociale, efficacité optimisée, jeunesse et vie éternelles. 

Il considérait comme essentiel d’être vigilant envers cette pensée dominante, normalisante voire normosante, excluante, qui soutenait l’histoire dominante que se raconterait le client. 

Etre attentifs au récit du client qui l’exclut de sa propre vie. En d’autres termes dits : déconstruire l’histoire de la vie des gens, imposée par les normes implicites de la société et faire apparaître l’absent mais implicite (l’inexistant de Derrida). 

 

Différence, variété

Michael White, comme Gregory Bateson le proposait, préférait privilégier la différence et la variété dans sa pratique d’accompagnement. La différence d’espoirs personnels, de réussite de vie, de projets personnels. 

Bref, l’important ce sont les histoires préférées des gens basées sur leurs envies, leurs rêves, leurs espoirs et non l’histoire proposée d’après des critères sociaux imposés, extérieurs aux gens et pourtant intériorisés au point de les croire justes et désirés. 

Ce que cet engagement nous apprend, ce sont que les valeurs de Michael White sont dans le respect de la différence de pensée et d’être, de la non-conformité source de richesse. Les variétés de points de vue, les nombreuses options possibles et localisées que construisent les gens contribuent à une société riche et vivante.

Ce qui résonne en nous c’est de respecter les avis de nos interlocuteurs et l’orientation qu’ils souhaitent donner à leur vie ; notre curiosité à l’égard de leurs récits, de leur histoire ; le retour au client-narrateur comme auteur principal de son histoire ; l’élaboration d’une auto-biographie de plein gré. 

Nous nous déplaçons ainsi dans un lieu d’intervention où le détenteur du savoir, c’est le client-narrateur. Nous quittons notre savoir et notre position centrale, pour une position décentrée de non-savoir, de perplexité, ouvrant ainsi l’espace au narrateur pour qu’il exprime sa différence, tant dans sa vision de la vie, de ses espoirs, de son projet professionnel que de ses engagements.

Un monde professionnel au-delà des outils et techniques. Un monde entrelaçant de façon permanente philosophie et geste professionnel.

Un lieu où les séances deviennent des conversations riches prenant en compte les dimensions de la souffrance, de la pression sociale et politique, et le choix du narrateur. Ecartant doucement d’un geste les notions de résistance et de savoir du praticien, d’évaluation, de diagnostic ou de profils types. 

Ces conversations bien-sûr sont aussi « efficaces » que les autres entretiens parce que, praticiens influents, nous y sommes présents avec les ingrédients essentiels que sont la curiosité, le respect, la philosophie et le droit des idées minoritaires à faire entendre leur voix. 
Nous nous déplaçons alors du champ d’intervention stratégique du savoir du praticien en position centrée et influente, vers le champ collaboratif ou coopératif du non-savoir du praticien en position dé-centrée et influente. 

Vers un champ où différentes pensées et idées ont droit de cité, où la solution inventée par les individus n’est pas nécessairement celle de la norme. Car, comme le disait Gilles Deleuze, « La majorité ce n’est jamais personne, c’est un étalon vide. La minorité c’est tout le monde. Et c’est là qu’il y a un devenir ». 

 

Isabelle Laplante, Nicolas De Beer

 

NOTES :

(1) Michael White 

(2) Jean-Claude Milner 

(3) Jerome Bruner 

Crise du récit ou récits de crise ?
Nommer le réel
Question de curiosité
Stratégique ou collaboratif ?
Notes sur le constructivisme
Bifurcations
Pensée structuraliste & cie
Les Travaux de Michael White
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